Le sociologue décrit les effets pervers du Nouveau Management Public (NMP) sur le travail des soignants ou pour celui des policiers. Les indicateurs d’activité utilisés incitent agents et directions à se concentrer sur des tâches qui produisent des chiffres et du rendement, au détriment de la qualité de la prise en charge ou de la mission de protection de la société. Sentiment de perte de sens du travail, désengagement, fragilisation des collectifs de travail… Autant de facteurs de dégradation des conditions de travail.
► Marc Loriol est sociologue du travail et directeur de recherches au CNRS. Il travaille depuis des années sur les thématiques du bien-être et de la souffrance au travail, plus particulièrement dans la fonction publique. Il a notamment présenté ses dernières analyses sur les effets du NMP à l’hôpital et dans les services de police lors d'une journée d’études consacrée aux évolutions de l’organisation du travail et des conditions d’exercice des agents, organisée conjointement par l’Anact et le GIS Gestes le 24 septembre 2019. |
Marc Loriol : Prenons l’exemple de la durée moyenne de séjour, la DMS. À son arrivée, chaque patient est associé à un "groupe homogène de malade" pour lequel a été calculée une DMS. S'il reste hospitalisé plus longtemps, l’établissement perdra de l’argent. Dans l’un des hôpitaux où je suis intervenu, le directeur avait dans son bureau un logiciel qui lui signalait automatiquement tous les patients dépassant la DMS. Il contactait systématiquement le service pour savoir ce qui était prévu pour faire sortir la personne, de manière à éviter que cela ne plombe les comptes de l’hôpital.
Avec la tarification à l’activité, une autre stratégie pour redresser les comptes d’un établissement consiste à multiplier les actes rentables, par exemple les actes chirurgicaux ou l’hospitalisation de jour, voire à sélectionner les patients qui ont des pathologies les plus rentables. Mais ces stratégies ont des effets pervers, notamment la multiplication de l’activité des établissements pour équilibrer leur budget.
Les hôpitaux ne sont plus soumis à une injonction de faire aussi bien que la moyenne mais à faire mieux que la moyenne, c’est-à-dire soigner pour moins cher que la moyenne des établissements. Cela pousse à une économie du low cost.
Pour optimiser la gestion des ressources humaines et économiser sur le principal poste de dépenses, la main d’œuvre, on développe la polyvalence des soignants, on a recours à des intérimaires, des CDD ou encore des emplois aidés dans les Ehpad. Le turn-over est de plus en plus important, ce qui déstabilise les équipes, fragilise les savoir-faire collectifs, les coopérations et l’entraide dans un contexte où les soignants sont amenés à prendre en charge des patients de plus en plus lourds avec des moyens constants. J’interviens dans les établissements de santé depuis les années 1990, je suis frappé de voir la montée des conflits, des tensions entre les équipes et entre les professionnels de santé.
Marc Loriol : Le reporting, la traçabilité, le suivi de l’activité ont entraîné une augmentation exponentielle du travail administratif des soignants et des médecins au détriment du temps passé auprès des patients. Les activités rentables, au sens de la tarification à l’activité, sont privilégiées face à celles qui sont utiles. Les cadres de santé passent par exemple beaucoup de temps à essayer de recaser leurs malades pour vider des lits plutôt que de faire un accompagnement et du soutien. Tout cela crée un malaise, de la souffrance, avec le sentiment de plus pouvoir bien faire le travail. Il est difficile dans ces conditions d’être fier de son travail.
Autre exemple, le temps moyen d’attente et de passage aux urgences. C'est l’un des principaux indicateurs de la qualité des soins pour les services d’urgence. Faire passer en priorité les cas simples, rapidement traités, est un moyen de baisser mathématiquement ce temps d’attente. L’existence de cet indicateur et les incitations qui en découlent concourent à affaiblir la définition médicale de l’urgence dans certains établissements, et donc le sentiment d’accomplissement professionnel des soignants.
Marc Loriol : Chaque agent, chaque brigade et chaque commissariat doit faire mieux que la moyenne en matière de nombre de timbres-amendes, d’interpellations ou encore de taux d’élucidation des affaires. Un bon policier est celui qui fait le plus de chiffre, ce n’est pas celui qui préviendrait les délits et les crimes et ferait par conséquent le moins de chiffre. Cette politique du chiffre accentue la concurrence au détriment de la coopération et incite les policiers à ne centrer leur travail que sur les activités produisant du résultat rapidement chiffrable. Chercher des jeunes avec quelques grammes de cannabis sur eux permet facilement d’enregistrer une infraction et fait monter le taux moyen d’élucidation. Il en va de même pour l’arrestation d’étrangers en situation irrégulière.
Les policiers doivent alors, pour faire des chiffres, se détourner le plus souvent de ce qu’ils considèrent comme de "belles affaires" qui correspondent à la mission et à l’utilité sociale qu’ils s’assignent. Cela entraîne aussi une perte de sens du travail.
HSE
Hygiène, sécurité et environnement (HSE) est un domaine d’expertise ayant pour vocation le contrôle et la prévention des risques professionnels ainsi que la prise en compte des impacts sur l’environnement de l’activité humaine. L’HSE se divise donc en deux grands domaines : l’hygiène et la sécurité au travail (autrement appelées Santé, Sécurité au travail ou SST) et l’environnement.
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